jeudi, septembre 20, 2012

La Révélation (II)

Caractère surnaturel de la Révélation

Ce qui est spécifiquement surnaturel dans la Révélation, n’est pas en soi l’initiative divine, que l’on retrouve presque et toujours partout ( création, providence…), ni même l’objet de la révélation qui peut porter, on l’a vu sur des vérités accessibles à la seule raison. Il faut par contre noter le mode surhumain de son origine. La Révélation est une intervention spéciale et gratuite dans l’ordre de notre vie religieuse qui se traduit du côté de l’homme par un accroissement de la connaissance de vérités, et qui n’est pas dû à ses propres ressources.

L’Eglise, dans son enseignement suprême infaillible, enseigne cela, spécialement depuis le XIXè siècle où un courant rationaliste et naturaliste niait la possibilité même de la Révélation. Aujourd’hui, le problème est quelque peu différent. On ne niera pas directement la possibilité de la Révélation, mais plutôt le fait, ou bien on en changera la nature. Le protestantisme avait déjà beaucoup modifier le concept de Révélation, d’une part en la limitant à la seule Ecriture Sainte et en niant le rôle fondamental du Magistère de l’Eglise, d’autre part en introduisant la notion de subjectivisme. C’était ouvrir la porte au modernisme que condamnera le Pape saint Pie X. Le modernisme refuse toute idée de transcendance et a fait de la Révélation une invention humaine, fruit de l’immanence. Aujourd’hui, avec le déferlement du New Age qui va puiser sa substance dans les philosophies orientales, la notion de Révélation est devenue assez floue, même chez de nombreux catholiques. Il existerait bien un Dieu, ou une certaine divinité ( le terme a son importance, car il désigne la nature de Dieu, non la personne : parler de divinité atténue fortement l’idée d’un Dieu personnel ), mais cette divinité communique avec chacun de façon très personnel, avec parfois des intermédiaires surprenants : les esprits des morts, les fluides ou énergies de la nature, les profondeurs de notre subconscient, etc… Finalement, nous voyons ici une résurgence de la gnose antique.

Avant donc de voir l’enseignement de l’Eglise au sujet de la Révélation, montrons d’abord que celle ci est bien possible. Nous n’userons ici que d’arguments de raison, et non de foi. Ainsi, tout homme, chrétien ou non, est en mesure de savoir qu’une révélation divine est possible, de même que tout homme usant de son intelligence correctement est en mesure de savoir qu’il existe un être suprême que le langage courant nous fait appeler Dieu.


Possibilité de la Révélation



Nous pouvons déjà rendre compte d’une intuition commune à la majorité des êtres humains, au delà des distinctions de races, de cultures, de lieu ou de temps : la raison elle même nous fait entrevoir en Dieu des mystères qui la dépassent. De plus, si Dieu est cause première de tout ce qui existe – ce qu’avait démontré le philosophe Aristote – qu’est ce qui l’empêcherait de manifester des connaissances touchant à des vérités transcendantes ? Si l’homme reçoit de ses semblables, pourquoi ne recevrait il pas également de Dieu ? La connaissance de l’existence de Dieu nous fait découvrir son essence et ses attributs : nous voyons ainsi un Dieu cause première et principe de tout, acte pur, immuable, sans imperfection. Si nous reconnaissons l’existence de Dieu, que la raison nous fait découvrir, il serait justement irrationnel de nier la possibilité d’une Révélation. Nous affirmons donc que la Révélation est possible physiquement.



Par ailleurs, tous s’entendent pour reconnaître que notre raison a ses limites. Certes, les progrès techniques et scientifiques sont considérables, surtout depuis un siècle, mais il est clair que nous ne percevons qu’une infime parcelle de la réalité de l’être, aussi bien en ce qui concerne l’infiniment grand que l’infiniment petit. Biologistes comme astrophysiciens sont en admiration devant le monde qui se présente à eux ! Nous avons pris des extrêmes, mais de façon habituelle, c’est toute la nature qui est source d’émerveillement. Or les sciences positives ne pourront que nous donner le comment de ce que nous observons dans l’univers, mais jamais elle ne nous livreront le pourquoi.


 S’il nous reste encore beaucoup à apprendre sur l’univers, à fortiori nous en reste-t-il davantage sur Celui qui en est à l’origine. Or puisque cet Etre est doué de raison, il peut très bien venir à notre secours. Notre connaissance naturelle de Dieu a besoin d’être confirmée. Et nous n’y voyons pas une lacune dans le plan primitif de Dieu : la Révélation peut très bien se concevoir comme point de départ d’un plan supérieur. Ainsi, nous affirmons que la Révélation est également moralement possible.

L’enseignement de l’Eglise

Evidemment, pour nous chrétiens, qui recevons le fait même de la Révélation dans l’obéissance de la foi, nous savons bien qu’elle est possible, puisqu’elle est ! Mais la réception des vérités de foi ne nous empêche nullement de faire fonctionner notre intelligence. Au contraire, la sagesse, le bon sens tout simplement, nous poussent à approfondir notre réflexion par une étude attentive et amoureuse du donné de la foi. Nous sommes ainsi loin de tout fondamentalisme, propre à certaines religions comme l’Islam, ou certaines sectes « d’inspiration » chrétienne comme les Témoins de Jéhovah. 

Que nous enseigne l’Eglise ? Et bien justement, l’existence de deux ordres de connaissances distincts, mais non contradictoires. Voyons quelques textes du Magistère à ce sujet.

  1er Concile du Vatican ( 3è session, 24 avril 1870, constitution dogmatique « Dei Filius » sur la foi catholique, chap 2 : la Révélation )

Premier Concile du Vatican (1869-1870)
« La même sainte Eglise, notre Mère, croit et enseigne que Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être connu avec certitude par la lumière naturelle de la raison humaine à partir des choses crées, car ‘depuis la création du monde, ce qu’il y a d’invisible se laisse voir à l’intelligence grâce à ses œuvres’ ( Rm I ; 20 ). Toutefois, il a plu à sa sagesse et à sa bonté de se révéler lui-même au genre humain ainsi que les décrets éternels de sa volonté, par une autre voie, surnaturelle celle là : ‘ Après avoir à maintes reprises et sous maintes formes parlé jadis à nos Pères par les prophètes, Dieu, tout récemment, nous a parlé par le Fils’ ( Hb I, 1 ). »

  Encyclique « Fides et Ratio » ( du Pape Jean Paul II, 14 septembre 1998 ) L’encyclique traite de façon admirable des rapports entre la foi et la raison. Le premier chapitre concerne la Révélation. Le Pape reprend en partie l’enseignement de Vatican I.

« Reprenant presque littéralement l’enseignement donné par la Constitution ‘Dei Filius’ du Concile Vatican I et tenant compte des principes proposés par le Concile de Trente, la constitution ‘Dei Verbum’ de Vatican II a continué le processus séculaire d’intelligence de la foi et a réfléchi sur la Révélation à la lumière de l’enseignement biblique et de l’ensemble de la tradition patristique. Au premier Concile du Vatican, les Pères avaient souligné le caractère surnaturel de la Révélation de Dieu. La critique rationaliste, qui s’attaquait alors à la foi en partant de thèses erronées et très répandues, portait sur la négation de toute connaissance qui ne serait pas le fruit des capacités naturelles de la raison. Ce fait avait obligé le Concile à réaffirmer avec force que, outre la connaissance propre de la raison humaine, capable par nature d’arriver jusqu’au Créateur, il existe une connaissance qui est propre à la foi. Cette connaissance exprime une vérité fondée sur le fait même que Dieu se révèle, et c’est une vérité très certaine car Dieu ne trompe pas et ne veut pas tromper.         ( § 8 )
Le Concile Vatican I enseigne donc que la vérité atteinte par la voie de la réflexion philosophique et la vérité de la Révélation ne se confondent pas, et que l’un ne rend pas l’autre superflue : ‘il existe deux ordres de connaissance, distincts non seulement par leur principe mais aussi par leur objet. Par leur principe, puisque dans l’un c’est par la raison naturelle et dans l’autre par la foi divine que nous connaissons. Par leur objet, parce que outre les vérités que la raison naturelle peut atteindre, nous sont proposés à croire les mystères cachés en Dieu, qui ne peuvent être connus s’ils ne sont divinement révélés.’ La foi, qui est fondée sur le témoignage de Dieu et bénéficie de l’aide surnaturelle de la grâce, est effectivement d’un ordre différent de celui de la connaissance philosophique. Celle-ci, en effet, s’appuie sur la perception des sens, sur l’expérience, et elle se développe à la lumière de la seule intelligence. La philosophie et les sciences évoluent dans l’ordre de la raison naturelle, tandis que la foi, éclairée et guidée par l’Esprit Saint, reconnaît dans le message du salut la ‘ plénitude de grâce et de vérité’ (Jn I ; 14 ) que Dieu a voulu révéler dans l’Histoire et de manière définitive par son Fils Jésus-Christ. » ( § 9 )


Excursus : l’affaire Galilée



L’Eglise est la première à reconnaître l’existence de deux ordres de connaissance distincts, comme le rappelle Jean-Paul II dans le texte ci-dessus. Les rationalistes tendent à opposer par principe foi et raison, dans le but avoué de ruiner les fondements de la religion. Or distinction n’est pas opposition, et il ne saurait y avoir d’opposition car Dieu est principe aussi bien de la foi que de la raison. Il s’agit seulement de bien poser le problème, ce qu’a fait le Pape en soulignant que foi et raison diffèrent quant à leur objet, mais concourent toutes deux à la connaissance de la Vérité qui est une. Comment deux sciences qui n’ont pas le même domaine d’application peuvent elles s’opposer ? L’affirmer relève de l’absurde, et pour le coup, est absolument contraire aux lois de la raison.
Un des cas les plus typiques de cette dialectique, utilisée bien souvent pour dénigrer une Eglise obscurantiste, est ce qu’on a coutume d’appeler « l’affaire Galilée ». Ainsi, à en croire certains, et hélas leur opinion, dont nous démontrerons la fausseté est très répandue dans la conscience populaire, Galilée, physicien et astronome aurait été condamné par l’Inquisition comme hérétique en 1633. Il aurait été réhabilité par le Pape Jean-Paul II en octobre 1992. Qu’en est il exactement ?

Disons d’abord que Galilée n’a pas pu être condamné pour hérésie, puisque l’hérésie est une erreur, ou négation, contraire à la foi révélée par Dieu et enseignée par l’Eglise. Or les propositions professées par Galilée ne touchaient pas directement à la foi, mais relevaient des sciences positives. L’Eglise n’a pas en soi autorité pour juger sur des propositions relevant de ces sciences. Nous pouvons en effet distinguer dans le vaste champ des connaissances, 3 niveaux différents :

  les hypothèses scientifiques, qui doivent être vérifiées expérimentalement. Karl Popper, célèbre épistémologue du XXè siècle parle à ce sujet de falsifiabilité : une proposition doit être telle qu’on puisse démontrer si elle est vraie ou fausse. Par ailleurs ces hypothèses, même vérifiée, peuvent toujours être révisées, reprises selon un autre point de vue, et c’est bien ce qui arrive en pratique.

  la réflexion philosophique, qui procède rationnellement, et qui peut, si elle est correctement conduite, aboutir à des vérités.

  la théologie qui déduit et expose les vérités contenus dans la Révélation. En ce domaine, seule l’Eglise, par son Magistère, a le pouvoir de dire ce qui est vrai ou ce qui est faux.

Galilée n’a donc jamais été condamné pour avoir affirmé que la Terre tourne autour du Soleil car cette affirmation relève des sciences positives ( astronomie ) et non de la foi. Certes, des passages de l’Ecriture semblent indiquer le contraire, mais les théologiens ont toujours reconnu que l’Ecriture s’exprime souvent selon l’opinion courante, par exemple quand on parle temporellement de Dieu, qui est pourtant éternel. Dans le langage courant, nous disons bien que le Soleil se lève ou se couche. Or nous savons bien que ce n’est qu’une métaphore, puisque cette impression de Soleil levant ou couchant nous est en réalité donné par la rotation de la planète.  La Bible emploie très souvent un langage imagé pour décrire une réalité. Il s’agit encore une fois de ne pas être littéraliste.

A partir de 1611 Galilée milite pour le système de Copernic ( 1473 – 1543 ). Ce dernier avait émis l’hypothèse de l’héliocentrisme pour expliquer le mouvement des planètes. Ainsi la Terre ne serait plus au centre du monde, comme on le pensait jadis. Mais jamais cela ne fut considéré comme une vérité révélée à croire de foi divine. Or voici qu’en 1623 un ami personnel de Galilée, Maffeo Barberini, devint Pape sous le nom d’Urbain VIII. Galilée insiste alors auprès de son ami pour que ses thèses soient proclamées « d’Eglise » ce que le Pape ne peut absolument pas accepter. Etant gardien de la foi, il ne peut nullement faire passer pour article de foi ce qui n’est qu’une hypothèse scientifique. Imaginez le tollé que cela provoquerait si de nos jours Benoit XVI érigeait en dogme d’Eglise une hypothèse scientifique, même reconnue par tous les savants. On crierait à la confusion dans l’ordre du savoir et on reprocherait à l’Eglise de se prononcer sur un domaine qui ne la concerne pas directement. Et bien le Pape Urbain VIII a justement voulu éviter cela.

En 1630 Galilée explique le mouvement de la Terre par le phénomène des marées. Il enseigne cette théorie publiquement, comme étant vraie. Or il se trouve qu’elle est fausse comme le montrera Newton par la suite. On demande alors à Galilée de ne présenter ses théories que comme des hypothèses et de renoncer à commenter la Bible. Galilée persistant malgré tout, le Saint-Office ouvre un procès. Il est condamné à renoncer au système de Copernic qui n’était pas encore prouvé, et est assigné à résidence dans sa villa de Toscane. Ce fut certainement une sage sentence, peut être due à l’intervention du Pape, son ami, car à ce moment, Galilée âgé de 69 ans voyait très mal et ne pouvait se déplacer que difficilement. Il put ainsi se retirer tranquillement chez lui, loin de toutes polémiques, pour continuer son travail, ce qui lui permit de rédiger son Traité de mécanique. Quant à l’affirmation « Et pourtant, elle tourne ! », il ne l’a jamais prononcé. Ce mot lui a été attribué au XVIIIè siècle par les ennemis de l’Eglise.

Ainsi dans cette affaire, mis à part le fait que Galilée ne fut pas le martyr de la science face à l’obscurantisme de l’Eglise comme on veut nous le faire croire, il apparaît que l’Eglise se fait au contraire défenseur de la science. Galilée en voulant imposer sa théorie comme étant « d’Eglise » aurait nuit aussi bien à la science qu’à la théologie. L’Eglise n’a fait dans cette affaire que respecter la distinction des ordres du savoir.  Quand la preuve du mouvement de la Terre autour du Soleil sera apportée scientifiquement, au XVIIIè siècle, grâce à l’optique, l’Eglise acceptera ces thèses sans aucun problème. Un mausolée à Galilée sera même érigé en 1734 dans l’église Santa Croce à Florence. Si réhabilitation il devait y avoir, elle serait déjà faite depuis plus de deux siècles !




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