Dans la plupart de nos études, nous sommes soutenus et encouragés par l’espoir de la découverte, l’amour de la vérité nouvelle, une curiosité légitime, le plaisir de la trouvaille et de la conquête personnelle.
Dans l’étude des choses de Dieu, et en particulier dans notre prière, il est plus sage de tempérer, peut-être même, à certaines heures, de bannir absolument cet amour de la nouveauté, cette recherche de l’inaperçu. Il n’est même pas impossible qu’il y ait pour le développement de l’âme un danger subtil dans cet amour de l’inattendu, de l’effet, de la doctrine recherchée et profonde.
Ce que Dieu nous demande, ce n’est pas le raffinement intellectuel, c’est de nous plaire dans le regard tranquille et doux ; c’est de tremper notre âme dans sa lumière et sa beauté : « Delectare in Domino et dabit tibi petitiones cordis tui. » (Ps XXXVI,4)
Nulle part cette réflexion n’est plus vraie que lorsqu’il s’agit du mystère de l’Incarnation. La donnée nous est devenue si familière et le Seigneur a pris tellement possession de toutes les avenues de notre vie : notre première enfance a connu les tendresses de Noël ; notre jeunesse en a goûté les charmes, en a entendu les invitations ; notre âge mûr en a compris les harmonies et les graves douceurs.
Nous nous sommes accoutumés – et c’est peut-être là le premier bénéfice de notre vie religieuse – nous nous sommes accoutumés à reconnaitre Notre-Seigneur Jésus-Christ dans toute région :
- sa préparation lente dans l’Ancien Testament,
- sa manifestation dans le Nouveau,
- son développement et sa croissance dans l’Eglise.
L’Incarnation s’est établie dans notre vie comme chez elle : non contente de remplir notre intelligence, elle est devenue comme un objet de contact et d’expérience.
Car c’est l’Incarnation qui rayonne et se prolonge dans la Messe, dans l’Eucharistie, dans la Communion, dans la présence réelle, dans l’exercice quotidien de l’obéissance et de la charité. Notre vie baigne en quelque sorte dans le mystère.
Le Seigneur semble avoir été jaloux d’envelopper toute notre vie, d’y multiplier sa présence, de n’y laisser aucune région vide de Lui. Son amour a pris plaisir à créer ces rencontres dans le dessein de nous maintenir face à face avec Lui, et comme pour nous préparer à l’union et à la vision sans fin.
Et pourtant nous savons que ce n’est encore qu’une initiation et un apprentissage. Alors même que le Seigneur semble déjà, selon la parole de l’Ecriture, être dès ici-bas tout en tous : « Ut si Deus omnia in omnibus » (I Cor XV,28), nous savons néanmoins que l’achèvement définitif de ce dessein de Dieu est réservé aux jours sans fin de l’Eternité. L’Incarnation n’est pas pour Dieu un moyen temporel, un procédé précaire, c’est le procédé unique, définitif, par lequel Il nous unit à Lui dans le temps et l’éternité.
Non, il ne s’agit pas de découvrir ici des choses nouvelles, des aperçus cachés : le thème est trop familier et il a été trop amoureusement étudié, et exploré, pour se prêter à des trouvailles. Il n’est question que de goûter davantage. Et pour cela revenons à cette pensée que l’Incarnation est libre, qu’elle est un bienfait libre, un mystère gracieux et qui nous vient de la pure bienveillance de Dieu. A ce point de vue, la familiarité dont nous venons de dire un mot pourrait parfois nuire à la reconnaissance. L’Incarnation ne fait pas corps avec les choses. Elle n’était pas nécessaire.
Encore que, de fait, nous ne parvenions pas à concevoir pour nous la vie en dehors de Notre-Seigneur Jésus-Christ et loin du Verve Incarné, encore que nous n’ayons jamais formulé, même mentalement, l’hypothèse où l’Incarnation et l’Eucharistie et la présence réelle n’eussent pas existé pour nous, pourtant il convient que la continuité et la familiarité du bienfait lui laissent, pour nous, son caractère de bienfait.
Et pour vous montrer une fois de plus qu’il n’entre pas dans mon dessein de dire des choses nouvelles, je me demande de quelle volonté nous vient ce bienfait.
( A suivre...)