mercredi, octobre 10, 2012

La Révélation (III)


Nécessité de la Révélation

La Révélation était-elle nécessaire ? Avant de répondre à cette question, il convient de faire un rappel sur la notion de nécessité en philosophie.
Définition : La nécessité est le caractère de ce qui est nécessaire !

   Appliqué à une proposition, est nécessaire ce dont la contradictoire est impossible ou impensable. On parle ainsi des vérités éternelles et nécessaires, des principes universels et nécessaires. Ex . : la proposition «  2 + 2 = 4 » est nécessaire, car le fait que 2 + 2 ne soit pas égal à 4 est impensable.
Appliqué à un être, est nécessaire ce qui ne peut pas ne pas être. En ce sens, seul Dieu est nécessaire, puisque tous les autres êtres ont été créés, dont aurait pu ne pas être. « Je sens que je puis ne pas avoir été, donc je ne suis pas un être nécessaire » dit Pascal dans ses Pensées. Nécessaire s’oppose ici à contingent : est contingent ce qui peut ne pas être. Toutes les créatures sont contingentes, puisque avant d’être crées, elles n’étaient pas, et que cela n’enlevait rien à Dieu, unique Être nécessaire. 
Dieu aurait pu ne pas nous créer, puisque Il est libre. Nécessaire s’oppose donc aussi à libre ( et nécessité à liberté ). Affirmer que Dieu soit dans la nécessité de faire ou de ne pas faire telle ou telle action, revient à nier sa liberté, ce qui est impensable. Il n’y avait aucune nécessité à ce que Dieu crée le monde. L’œuvre de la création relève donc de la bonté de Dieu, qui agit par amour en toute liberté.

  • Une distinction à opérer

Dieu n’agit jamais par nécessité. Il faut donc affirmer que la Révélation n’était pas nécessaire, sinon, il nous faudrait nier la liberté de Dieu. Pourtant, le 1er concile du Vatican semble affirmer le contraire, puisqu’il affirme la nécessité de la Révélation. Il convient donc d’opérer une distinction que nous irons chercher chez Saint Thomas d’Aquin.
Celui-ci se pose en effet la question de l’Incarnation : était elle nécessaire ? En soi, non, puisque Dieu est libre. Toutefois, saint Thomas y voit quand même une certaine nécessité que l’on peut qualifier de morale. Il distingue ainsi : 
« Quelque chose est dit nécessaire à une fin de deux façons: de telle façon que sans cela quelque chose ne puisse pas exister ; c'est ainsi que la nourriture est nécessaire à la conservation de la vie humaine. Ou bien parce que cela permet de parvenir à la fin de façon meilleure et plus adaptée ; c'est ainsi qu'un cheval est nécessaire pour voyager. » ( Somme théologique, IIIa Q 1 art 2 )

Nous distinguerons ainsi avec saint Thomas, et comme le fait d’ailleurs l’Eglise, la nécessité absolue, ce qui est nécessaire en soi, absolument, du fait des lois de l’être et de la nature ( nécessité d’ordre métaphysique, physique ou mathématique ) et la nécessité relative, qui est nécessaire pour une meilleure réalisation d’une fin, d’un objectif fixé. Ainsi, L’Incarnation n’était pas nécessaire en soi, mais étant supposé que Dieu veuille sauver l’humanité, il était nécessaire, d’une nécessité relative, que l’Incarnation se fasse. Cette nécessité manifeste une haute convenance : l’Incarnation est le moyen le plus convenable pour nous sauver. Dieu était libre de réaliser ou non notre salut, mais l’ayant voulu, il était convenable qu’Il le fasse au moyen de l’Incarnation.

Nous opérerons donc la même distinction au sujet de la Révélation. Celle ci n’est pas nécessaire en soi, d’une nécessité absolue. Mais puisque Dieu, librement, nous a assigné une fin surnaturelle ( qui dépasse les capacités de notre nature ) la Révélation devient alors moralement nécessaire pour que nous puissions connaître cette fin. Dans la nature comme dans l’ordre surnaturel, il y a toujours une proportion entre la fin et les moyens, sinon il y aurait un non-sens, une absurdité dans le plan divin. A fin surnaturelle, il nous faut des moyens surnaturels, d’où l’ordre de la grâce. Or le salut passe d’abord par une connaissance : la Foi. Cette connaissance n’a rien d’ésotérique et n’est pas limitée à une petite élite intellectuelle. Elle s’adresse au contraire à toute l’humanité. Voilà pourquoi Dieu s’est révélé, comme l’enseignent l’Eglise et les théologiens :



1er Concile du Vatican : 

« C’est bien grâce à cette Révélation divine que tous les hommes doivent de pouvoir, dans la condition présente du genre humain, connaître facilement, avec une ferme certitude et sans aucun mélange d’erreur, ce qui dans les choses divines, n’est pas de soi inaccessible à la raison. Ce n’est cependant pas pour cette raison que la Révélation doit être dite absolument nécessaire, mais parce que Dieu, dans son infinie bonté, à ordonné l’homme à une fin surnaturelle, à savoir la participation aux biens divins qui dépassent absolument ce que peut saisir l’esprit humain . » 

saint Augustin :
Saint Augustin par Piero Della Francesca
« C’est un grand effort, et bien rare, de s’élever, par la puissance de la raison, au-dessus de toutes les créatures dont l’observation a reconnu la mutabilité, jusqu’à l’immuable substance de Dieu, et d’apprendre de Lui-même, que toute la nature, qui n’est pas Lui, n’a pour auteur que Lui seul. Car Dieu ne parle à l’homme par aucune créature corporelle, Il ne frappe point l’oreille d’accents qui vibrent dans l’air intermédiaire entre la parole et l’auditeur ; Il ne se sert d’aucune de ces images spirituelles, semblables aux figures des corps et aux fantômes de nos songes. Et cependant, il semble que l’oreille l’entend, car il semble qu’Il parle par des organes corporels, et comme à différentes distances locales : ces manifestations présentent en effet de nombreuses similitudes avec les corps. Mais Il parle réellement par sa vérité même, langage qu’entend de l’esprit, et non de l’oreille, quiconque est propre à l’entendre. Car Il ne parle à ce qui est, en l’homme, le plus excellent de son être et qui ne cède en excellence qu’à Dieu. Comme l’on sait, ou du moins, comme l’on croit avec raison, que l’homme est fait à l’image de Dieu, il est certain qu’il n’approche de Dieu que par où il l’emporte sur le reste de lui-même, ces parties inférieures qui lui sont communes avec les bêtes. Mais l’esprit, en qui résident naturellement la raison et l’intelligence, couvert des ténèbres de certains vices invétérés, et trop faible pour embrasser la jouissance -  que dis-je ?- pour soutenir même le rayon de cette lumière immuable, en attendant que de jour en jour renouvelé et guéri, il devienne capable d’une telle félicité ; l’esprit, dis-je, devait d’abord être pénétré et purifié par la foi. Et afin que par elle il marchât avec plus de confiance à la vérité, la Vérité même, Dieu Fils de Dieu, revêtant l’homme sans dépouiller le Dieu, établit et fonde cette foi qui ouvre à l’homme la voie vers le Dieu de l’homme par l’Homme-Dieu. Voilà donc le médiateur des dieux et des hommes, Jésus-Christ homme ; et c’est comme homme qu’il est le  médiateur et la voie. Lorsqu’en effet, entre le point de départ et le but il se trouve une voie intermédiaire, on a l’espoir d’arriver ; dans l’absence ou l’ignorance de la voie, que sert de connaître le but ? Mais c’est l’unique voie, assurée contre toute erreur, que le même soit Dieu et homme ; but, en tant qu’homme ; voie, en tant que Dieu. »
( La cité de Dieu, Livre XI, § 2 )

saint Thomas d’Aquin :

« L’intelligence humaine, qui tout naturellement, puise sa connaissance dans le sensible, ne saurait par ses seules forces atteindre à l’intuition de la substance divine en elle-même : de par son élévation, en effet, cette substance est sans proportion aucune avec les êtres sensibles, ni même avec aucun des autres êtres.
Cependant, le bien parfait de l’homme consiste à connaître Dieu, d’une façon ou d’une autre. On serait donc en droit de considérer une créature d’une telle valeur comme rigoureusement absurde, c’est-à-dire comme incapable d’atteindre sa fin, si une voie ne lui avait été ouverte par laquelle elle peut s’élever jusqu’à connaître Dieu : en effet, puisque les perfections des choses existantes s’étagent au-dessous de Dieu, qui en constitue comme le sommet, l’intelligence, en partant des perfections infimes, et en s’élevant par degrés, peut parvenir à la connaissance de Dieu. Ainsi en va-t-il des mouvements corporels eux mêmes : que l’on monte ou que l’on descende, le chemin est le même, et seuls varient le départ et le terme. »
( Somme contre les Gentils, Livre IV , § 1 )

Cardinal Giraud

« La Révélation, qu’est-elle autre chose qu’une raison surnaturelle surajoutée à la raison humaine pour la perfectionner, en l’avertissant de sa faiblesse, en redressant ses erreurs, en humiliant son orgueil, et comme une nouvelle lumière qui fortifie ses yeux ?
Que Dieu ait donné la raison pour la conduite ordinaire de la vie, la connaissance des vérités premières et des grands préceptes de la morale, et qu’ensuite, dans l’ordre plus élevé de la religion, Il nous mette à la main un second flambeau pour nous conduire là où la raison seule ne peut atteindre : que voyez-vous dans tout cela qui ne soit digne , et de Dieu, et de l’homme ?
Si, au contraire, vous rejetez ce secours, et qu’à la place d’une religion déterminée, vous établissiez la raison comme la règle et l’arbitre des devoirs religieux, comme chacun a sa raison particulière, et que personne n’a le droit d’imposer la sienne à son semblable, chacun aussi se fera une religion à sa mode et à sa bienséance. Jugez-en par les écarts de ceux qui ont abjuré la Révélation :
Les uns se créent une religion qu’il leur plaît d’appeler naturelle, sans doute parce qu’elle favorise tous les penchants de la nature ; les autres considèrent toute espèce de culte religieux comme une institution purement politique, excellente pour le peuple, inutile aux sages, qui peuvent se passer de ce frein ; et ils ne manquent pas de se mettre au nombre de ces sages. Ceux-ci rangent la religion dans la classe des opinions humaines, des questions problématiques… ; ceux-là la réduisent à un sentiment intérieur qu’on a tâché de mettre en vogue sous le nom de sentiment religieux : sentiment vague et indéfini, qui simplifie merveilleusement les devoirs, parce qu’il n’admet ni témoin, ni juge, et dont l’effet le plus naturel serait de mener au fanatisme, s’il ne conduisait pas plus directement encore à la ruine de toute religion.
… Vous anéantissez toute religion, et toutefois nous avons démontré qu’il en faut une. Si la raison, abandonnée à elle-même et à ses propres lumières, ne peut l’établir, il faut donc recourir à l’intervention divine, et admettre conséquemment une religion positive et révélée de Dieu. »

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