Article paru dans le bulletin de la Chapelle Saint Bernard, mai-juin 2012
Nous ne nous lasserons jamais de le répéter : la liturgie est éminement éducative. Elle est même plus que cela ; elle est un facteur de civilisation en élevant les arts et la culture. Cela découle du fait qu’elle établit une relation entre les hommes et Dieu - c’est son essence même puisqu’elle est le plus sublime acte de la vertu de religion. Or, lorsque les hommes sont proches de Dieu, ils ne peuvent qu’être meilleurs et produire de meilleures œuvres. La civilisation occidentale, l’Europe en particulier qui a pour patron Saint Benoît, ne seraient pas devenues ce qu’elles sont sans la liturgie. Celle-ci fut ainsi l’un des piliers des grands travaux de la dynastie carolingienne, dont l’un des lointains ancêtres fut saint Arnoul (582-641), évêque de Metz et aïeul de Charlemagne. L’un de ses successeurs sur le siège de Metz eut aussi une grande influence dans la construction de l’empire carolingien : il s’agit de saint Chrodegang (712-766). Pépin-le-Bref l’avait nommé médiateur entre le royaume et la papauté. Il alla à Rome où il découvrit le chant vieux romain qu’il rapporta en Austrasie et convainquit ensuite Pépin d’adopter la liturgie romaine dans son royaume, ce qui fut fait lors du concile de Quierzy en 754. Les Francs reconnurent dans cette liturgie l’expression la plus haute du type de civilisation qu’ils désiraient édifier. Metz devint un haut lieu liturgique et ses nombreux manuscrits sont aujourd’hui encore une source précieuse pour l’étude du chant grégorien.
Charlemagne poursuivit l’œuvre de son père. L’un de ses plus proches collaborateurs était un moine anglais, Alcuin, qui travailla à l’unité de l’empire en promouvant l’unité liturgique. Grand liturge, en plus d’être philosophe, théologien et homme de lettres, Alcuin peut être considéré comme l’une des lumières du Haut Moyen-Age. L’un de ses plus grands travaux fut d’organiser les ordres monastiques dans l’empire. Les monastères étaient des foyers de connaissance et de culture, toutefois leur vocation première était l’Office divin selon l’enseignement de saint Benoît. La construction de la Chrétienté n’aurait sûrement pas été possible sans les moines et nous connaissons la grande influence qu’auront en leurs temps Cluny et Cîteaux. Beaucoup des grands noms du Moyen-Age dont on se souvient de nos jours étaient des moines, qui pour avoir voulu chercher Dieu sont devenus connus parmi les hommes, alors même qu’ils cherchaient à fuir le monde. Parce qu’ils étaient des hommes de prière, et en particulier des hommes de la prière de l’Eglise, la liturgie qui est selon l’étymologie le service pour le bien commun, les moines sont devenus les artisans d’un ordre social, politique (au sens noble du terme), éco- nomique et culturel, en un mot, les artisans d’une civilisation.
Si les deux ordres, temporel et spirituel, sont bien distincts, ils n’en sont toutefois pas pour autant étrangers l’un à l’autre, ou du moins, ne devraient-il pas l’être, tout comme le corps et l’âme qui sont bien distincts mais sont les deux composants essentiels qui font de nous des êtres humains. Si l’une des parties est malade, l’autre en sera donc nécessairement affectée. Aussi nous ne craignons pas de dire que l’une des causes de la crise du monde occidental que nous traversons - et nous disons bien une des causes, car ces dernières sont bien évidemment multiples - est à trouver dans la dérive liturgique des dernières décennies. Il aura suffit à la France d’un demi-siècle pour qu’elle voit son identité changée et on peut parler à ce sujet d’une véritable révolution. La Fille aînée de l’Eglise a renié ce qui fut son principe pendant de nombreux siècles. Considéré du terminus ad quem, on voit mal aujourd’hui dans un pays sécularisé qui se veut le champion de la laïcité ce que la liturgie a à voir avec la crise sociale et identitaire que nous traversons. Mais n’oublions pas que vu du terminus a quo, il y a un siècle, la France était une Nation catholique, même encore après la séparation de l’Etat et des Eglises, ce qui signifie que la liturgie avait un impact profond sur la population.
Depuis le Concile Vatican II, et même avant, on cherche à ouvrir l’Eglise sur le monde, et tous les moyens sont bons pour cela. Ainsi on aura complètement changé la façon de célébrer, ce que l’on appelle l’Ars celebrandi. A l’heure où on célèbre le cinquantenaire de ce Concile, peut - être conviendrait-il de se poser les bonnes questions ! Peut-être conviendrait-il de faire fi du soi-disant esprit du Concile pour enfin mettre en pratique les directives du Concile en matière liturgique, à savoir redonner la première place au chant grégorien pour ne donner qu’un exemple. Je doute fortement que la plupart des chansonnettes que l’on n'entend que trop souvent dans nos églises puissent être qualifiées d’art. Les non croyants ne s’y trompent d’ailleurs pas et il n’y a guère que les partisans d’un certain parti pris, plus ou moins suivi par le Peuple de Dieu à qui on a fait croire tout et le contraire de tout, qui y croient encore. Ceux qui pensaient être les hommes - ou les femmes - du progrès, il y a quelques décennies à peine, sont devenus aujourd’hui les conservateurs d’un modèle maintenant dépassé. Ce n’est donc certainement pas avec eux que nous pourrons rebâtir une civilisation digne de ce nom. D’ailleurs est-ce notre but ? La priorité n’est-elle pas de redonner Dieu aux hommes et de rappeler à ces derniers leurs devoirs envers leur Créateur et Seigneur ? La liturgie en sera un moyen, certes pas l’unique moyen, mais bien un puissant moyen. Ainsi en cherchant Dieu, ce qui ne peut se faire sans un certain retrait du monde, peut-être parviendrons-nous à réconcilier l’ordre temporel avec l’ordre spirituel. La liturgie sera la jonction de ces deux ordres !
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